Après le monde de la défense, un autre secteur peu familier avec la technologie est en train de se transformer, et on veut parler ici du BTP. L’alliance entre ces deux mondes, a priori éloignés, est aujourd’hui une réalité, portée par l’essor des « contechs », ces jeunes start-up françaises qui imposent leurs logiciels sur les chantiers et redéfinissent le rôle de la French Tech dans le BTP.
Longtemps dans l’ombre des « proptechs », les jeunes pousses spécialisées dans le suivi et le pilotage de chantier connaissent une belle dynamique de croissance ces dernières années. Les levées de fonds récentes en témoignent : Kraaft, cette application mobile pour la gestion des chantiers de construction surnommé le « WhatsApp des chantiers » a levé 13 millions d’euros en janvier, après Obat (12 millions), ce logiciel de gestion en ligne tout-en-un crée pour la gestion des tâches administratives et répétitives dédié aux professionnels du bâtiment, notamment les artisans, les TPE et les petites PME du secteur de la construction en France. Suivi de Altaroad cette start-up qui développe des solutions basées sur l’intelligence artificielle pour la gestion et l’optimisation des flux de matériaux et de déchets sur les chantiers de construction et les sites industriels qui a levé 10 millions d’euros.
Et finalement Teamoty et My Digital Buildings qui ont respectivement levés 3 et 2 millions d’euros. Teamoty est un éditeur de logiciels SaaS spécialisé dans l’optimisation du pilotage de la chaîne d’approvisionnement et de la planification des projets de construction, ainsi que dans la gestion des flux logistiques et des déchets sur site, en France et à l’international. Et My Digital Buildings, est une entreprise spécialisée dans les solutions numériques pour la gestion et l’optimisation des bâtiments existants, en particulier dans le secteur tertiaire (bureaux, commerces, etc.). Leur approche repose sur le concept du jumeau numérique du bâtiment. Ces chiffres illustrent la confiance croissante des investisseurs dans ce secteur en pleine effervescence.
Pourtant, cette réussite n’a pas été sans défis. Le BTP, réputé pour être un secteur relativement stable avec des marges plus faibles que d’autres, a d’abord montré une certaine réticence quant à l’adoption de solutions logicielles. Comme le souligne Marc Nègre, cofondateur de Kraaft, « Les entreprises du BTP sont sans doute un peu moins familières avec la tech, et elles font moins de marge donc elles peuvent se montrer réticentes à dépenser de l’argent pour un logiciel. »
Face à ces défis, différentes initiatives ont vu le jour dans le but d’accélérer cette transformation. Guillaume Bazouin, partenaire de Brick & Mortar Ventures, un fonds d’investissement qui cible uniquement les start-up de la construction, raconte qu’en 2018, lors du lancement de l’accélérateur de start-up du groupe Vinci, il était « compliqué de trouver cinq start-up à accompagner ». Aujourd’hui, la scène a bien évolué et s’alimente de nouvelles initiatives comme la création de l’association Contech France qui rassemble les jeunes pousses du secteur, ainsi que l’accélérateur lancé par Cemex.
Malgré un démarrage ralenti, l’engouement mondial pour ces contechs s’est confirmé avec une quantité de start-up spécialisées dans la construction étant passé de 267 en 2018 à plus de 4 000 en 2024.
Alors selon vous quels sont les facteurs qui expliquent cette accélération soudaine de la digitalisation dans le BTP ?
Thomas Rival, à la tête de Evolem, un family office qui a participé au à la dernière levée de fond d’Obat, explique que « les artisans ont traversé une triple crise (Covid, hausse des prix des matières premières, tensions sur le marché du travail), les poussant à se tourner vers le numérique pour optimiser la relation client, gérer les dépenses et réduire le temps accordé à l’administratif. »
En plus d’avoir bénéficié d’un contexte favorable, le secteur a pris conscience de l’utilité de la tech dans différentes dispositions entre autres, pour la captation d’information, la reconnaissance d’image ou encore l’analyse de données. De plus, la loi AGEC de février 2020, imposant la traçabilité des déchets généré par un chantier, a également poussé les entreprises à s’équiper de logiciels de suivi. Enfin, l’adoption généralisée du smartphone, au moins pour les chefs de chantier, a levé un frein majeur à cette digitalisation explique Guillaume Bazouin.
C’est ainsi que brique par brique, les contechs ont bâti leurs fondations, inscrivant gentiment leurs parcours dans le sillage d’autres pionniers français du secteur tel que Finalcad et Resolving, deux acteurs bien connus dans le domaine de la ConTech (Construction Technology). Leur défi est désormais de se positionner à l’échelle sur un marché immense, emplie d’une multitude de petits acteurs mais qui reste encore très fragmenté.
Selon Thomas Rival, la prochaine étape serait sans doute la consolidation du secteur, avec des rachats par des start-up déjà établies, afin accélérer leur croissance et atteindre la bonne échelle pour s’imposer de façon dominante sur le marché. Un secteur qui suit fortement la logique du « Winner takes it all »
Si l’on se fie aux différentes interventions des interlocuteurs du secteur, l’alliance entre la tech et le BTP semble durable, notamment en raison des spécificités du secteur. En effet, la fragmentation du marché, avec de nombreuses entreprises de petite taille et une multitude de parties prenantes sur un chantier, rend l’outil indispensable pour rassembler tout le monde. C’est même à se demander comment ils faisaient avant !
De plus, l’intégration de la Tech dans le monde du BTP facilite la communication globale ; comme le souligne Thomas Rival, sur un chantier, certaines personnes ne parlent pas très bien français et peuvent éprouver des difficultés à lire ou écrire. Grâce à la tech et à l’intégration de fonctionnalités comme les notes vocales et les images, les parties prenantes interagissent plus facilement sur les chantiers
L’idylle entre la French Tech et le BTP ne fait que commencer, promettant une transformation profonde et durable du secteur.